Proust - Ou de l'avantage d'être pauvre en matière de vêtements

 
PROUST BOTTON

Extrait de l’excellent livre d'Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie.
En s'appuyant sur les écrits de Proust, Alain de Botton nous explique simplement et clairement comment l'impossibilité de ne pouvoir s’offrir tous les vêtements que l'on désire est un des chemins vers la connaissance véritable, approfondie et détaillée des vêtements.*

"Proust démontre les bienfaits de l'attente dans ses réflexions sur l'appréciation des vêtements. Albertine, tout comme la duchesse de Guermantes, s'intéresse à la mode. Mais Albertine a très peu d'argent tandis que la duchesse possède la moitié du pays. De sorte que la garde-robe de la duchesse déborde, dès qu'elle aperçoit quelque chose qui lui plaît, elle appelle le couturier et son désir est satisfait aussi vite que des mains peuvent coudre. Albertine, quant à elle, ne peut pratiquement rien s'offrir, et doit donc longuement réfléchir avant tout achat. Elle passe des heures à étudier des vêtements, rêvant de tel manteau, ou de tel chapeau, ou de telle robe de chambre.
Il en résulte que, si Albertine possède beaucoup moins de vêtements que la duchesse, elle les comprend, les apprécie, et les aime bien davantage.

Proust compare Albertine à une étudiante qui se rend à Dresde, mue par le désir d'y admirer une toile en particulier, tandis que la duchesse est comme sans envie, sans connaissance, et n'éprouve en arrivant qu'hébétude, ennui et épuisement.

Ce qui démontre amplement que la possession ne constitue qu'une des composantes de l'appréciation. Si les riches ont la chance de pouvoir gagner Dresde dès que l'envie leur vient, ou de s'offrir une robe juste après l’avoir vue dans un catalogue, ils ont l'infortune de voir leurs désirs être immédiatement satisfaits. Ils ne pensent à Dresde qu'ils peuvent être aussitôt dans le train, ils voient un vêtement qu'ils peuvent le mettre aussitôt dans une armoire. Ils n'ont donc aucune possibilité de subir l'intervalle entre le désir et sa satisfaction, que les moins privilégiés endurent, et qui, bien qu'il leur semble pénible, offre le bénéfice inestimable d'aider à connaitre et à tomber amoureux des peintures exposées à Dresde, de chapeaux, de robe de chambre et de quelqu'un qui n'est pas libre ce soir."

*ce livre n'est pas consacré aux vêtements, il s’agit du seul passage qui évoque le sujet