Cleo : une boutique irlandaise de tricots à connaître
/Fondée en 1936 par Kit Ryan, Cleo est établie au 18 Kildare Street à Dublin. Toujours dirigée par la famille fondatrice, aujourd'hui représentée par la troisième génération, la boutique est spécialisée dans la confection et la vente de vêtements irlandais traditionnels, avec une expertise particulière pour les tricots d'Aran et les ceintures tissées (crios).
Ci-dessous des exemples de pulls aran tricotés à la main et vendus par Cleo (environ 500€) :
L'histoire de cette boutique est documentée dans l'ouvrage Cleo: Irish Clothes in a Wilder World. Il témoigne d'un modèle économique centré sur l'artisanat et la production locale. Cette approche a permis à l'enseigne de fidéliser une clientèle internationale et d'attirer l'attention de figures culturelles variées, des écrivains irlandais du XXe siècle aux créateurs de mode étrangers.
L'ouvrage met en lumière ce positionnement singulier de Cleo. Alors que l'industrie textile mondiale s'automatisait, la boutique a fait le choix radical de conserver une esthétique brute et une production manuelle. Ce refus de l'industrialisation a sans doute permis à l'entreprise de survivre, notamment lorsque le commerce local dublinois souffrait.
Ce succès s'explique aussi en partie par une connexion forte avec les États-Unis, entretenue par des ventes par correspondance via le catalogue J. Peterman. Une anecdote citée dans le livre illustre cette audace : lors du choc pétrolier de 1973, alors que le tourisme s'effondrait, la boutique a publié une publicité dans le New Yorker avec le slogan : « Keep warm during The Crisis in Organic Handknits » (Restez au chaud pendant la crise avec des tricots bio faits main).
Une pratique sociale et féminine réhabilitée
Le livre replace aussi le tricot dans son contexte historique irlandais. Compétence traditionnelle ayant survécu à la Grande Famine, le tricot est décrit comme une activité pragmatique intrinsèquement liée aux femmes. Contrairement aux machines ou aux travaux agricoles lourds, il permettait de surveiller les enfants (« child rearing ») et pouvait être interrompu instantanément sans danger en cas d'urgence domestique.
L'auteur souligne la volonté de Kitty Joyce, la propriétaire, de réhabiliter ce savoir-faire souvent dénigré ou considéré comme machinal. Pour Cleo, les tricoteuses ne sont pas de simples fournisseurs, mais des « créatrices douées » (« gifted makers »), et le tricot n'est pas un souvenir nostalgique, mais de l'« Art à porter » (« Wearable Art »).
La technicité du vêtement
Un point important de l'ouvrage est la comparaison technique entre le tricot main et la production industrielle.
Le tricot industriel : Bien qu'il utilise l'image marketing de la « chaleur irlandaise », il est critiqué pour son manque de « personnalité » et d'efficacité thermique. La marque met en garde contre les laines trop douces qui se déforment rapidement (« loose shape »).
Le tricot Cleo tricoté à la main : Il est présenté comme une pièce d'architecture dense, conçue avec de la laine irlandaise riche en lanoline et des points complexes. Sa durabilité est sa signature : il est conçu pour conserver sa forme et sa chaleur pendant des décennies.
Si la boutique était ancrée dans la tradition, elle attirait l'avant-garde. Le livre relate l'épisode où André Courrèges, futuriste par excellence, s'est arrêté devant la vitrine de Cleo. Il fut captivé non pas par les coupes, mais par les couleurs : les teintures naturelles (fuchsias, violets, verts mousse) possédaient une vibration organique que la chimie moderne de l'époque ne parvenait pas à imiter.
Autre preuve de ce rayonnement international : le livre mentionne une photo de Steven Spielberg, immortalisé par Richard Avedon, portant un pull Cleo.
Enfin, l'ouvrage documente le sauvetage des ceintures Crios. Ces longues ceintures tissées aux motifs géométriques colorés, originaires des îles d'Aran, servaient initialement aux hommes pour tenir leurs pantalons de tweed sans passants. Cleo les a réintroduites comme des pièces maîtresses, apportant une touche de couleur vive sur des tenues souvent sobres
Le livre montre aussi les dessous de la relation client : on y découvre des croquis griffonnés à la main par des clientes américaines, demandant des tenues de ski sur-mesure très précises. Qui pourrait en faire autant aujourd’hui ?
Pour en savoir plus sur Cleo, allez jeter un oeil sur leur site officiel ici.
le dramaturge Sean O’Casey qui porte son pull aran à l’envers
