Justo Gimeno à Saragosse : visite de l’atelier et de la boutique
/Se vêtir de peu de vêtements mais les bons. C’est une idée que l’on entend souvent ces dernières années, et c’est la seule qui me vient à l’esprit pour résumer la maison saragossane fondée en 1907. Pour s’y rendre depuis Paris, le trajet demande un détour : il n’existe pas de vols directs pour Saragosse à l’heure où j’écris ces lignes. Une escale par Barcelone s’impose, avant d’emprunter le train et découvrir une ville très riche culturellement.
En effet, Saragosse compte deux basiliques, Sainte Engrâce et Notre Dame du Pilier, c’est la ville dans laquelle deux basiliques sont le plus proches, Rome ne fait pas mieux ! Haut lieu de la chrétienté, c’est sur un pilar – un pilier – qu’apparue la Vierge à l’apôtre Jacques le Majeur en 40 ap. J.-C. Cette colonne est toujours visible et « touchable » au sein de la deuxième basilique citée. Si Saragosse se veut être un haut lieu de la chrétienté, surtout en Espagne, c’est aussi une ville qui compte quelques tailleurs et boutiques sur le vêtement masculin. Voici donc ma visite au sein de la boutique et l’atelier qui a su imposer la veste Teba dans l’Europe et le monde.
Un atelier intimiste
Je suis accueilli au pied de mon hôtel par Justo Gimeno en personne, fils de Justo Gimeno père, toujours élégant et taulier de la boutique. Justo fils s’occupe plutôt de l’atelier familial, qui se situe en périphérie de la ville. Je suis tout de suite frappé par la gentillesse extrême de Justo, qui s’est proposé de me conduire d’abord à l’atelier puis à la boutique, située sur la Gran Via, en plein centre.
Quel bonheur extrême que de découvrir l’atelier d’une marque que je porte depuis presque 10 ans ! J’ai aussi eu le plaisir de rencontrer enfin Asun Flores, responsable clients et comptabilité à l’atelier, avec laquelle je suis en lien depuis tant d’années et qui répond favorablement à chacune de mes demandes de photos pour « voir les nouveaux tissus disponibles ».
La première chose qui me frappe est la grandeur de l’atelier, bien qu’il n’y ait pas beaucoup de personnel – trois personnes le jour de ma visite – l’endroit regorge de tissus et de vestes rangées sur des portants.
Les tissus justement… Justo m’explique que la marque propose les plus beaux tissus existants, mais que bon nombre de clients, tout comme votre serviteur, ont pour habitude de leur adresser les tissus directement à l’atelier afin de réaliser leur Teba ou commande spéciale.
Encore aujourd’hui, les patronages et les tissus sont coupées à la main. Hormis dans les ateliers sur-mesure, c’est très rare de nos jours de couper tous les tissus à la main. C’était une vraie surprise. Tout est fait sur place hormis la grosse partie de la confection qui est réalisée dans d’autres petits ateliers. Seuls les prototypes sont produits dans l’atelier que j’ai visité.
Ce jour-là, mon choix s’est porté sur plusieurs tissus. Deux tissus Brisbane Moss en gabardine de coton de couleur bleu marine et vert olive, un tissu en Harris Tweed et un seersucker bleu. Le Brisbane Moss bleu marine a été choisi pour ensuite réaliser un pantalon – que Justo Gimeno ne propose pas – mais que j’ai fait réaliser auprès de Swann à Paris. Le Brisbane Moss vert olive était pour une Teba, tout comme le Harris Tweed, alors que le seersucker bleu était pour un autre pantalon, toujours via Swann à Paris.
Le choix a été très long mais grâce aux conseils de Justo, mes sélections allaient s’avérer très fructueuses.
En effet, j’ai toujours réalisé des Tebas en mesure à distance. J’envoyais les mesures désirées à l’atelier tout en précisant le tissu retenu. Environ un mois plus tard, je recevais ma Teba. Si vous souhaitez passer commande d’une veste Teba, n’hésitez pas à nous écrire en commentaire afin que nous vous indiquions la marche à suivre.
Justo m’explique que la veste Teba a beaucoup changé depuis un siècle. Aujourd’hui, bon nombre de partenaires réalisent par son biais des vestes comme de véritables créations : quatre poches, une fente dans le dos, un col à rabat… Justo Gimeno peut tout faire. Évidemment, tout l’attrait de la maison est, pour moi, ce col si caractéristique sans crans de revers. La veste Teba est avant tout une veste de chasse, certains en Espagne la nomment « la Tiradora », bien qu’aujourd’hui complètement urbanisée.
Justo Gimeno jouit d’une notoriété sans frontières : le Japonais Yamashita Eisuke, derrière le blog Mon Oncle, en est devenu adepte et ambassadeur de la marque au Japon où il la distribue. Il est très intéressant de voir qu’aujourd’hui la « chaqueta Teba » a conquis pléthore d’hommes. J’aime savoir que la veste que je porte a été fabriquée dans un atelier à taille humaine. J’aime aussi l’idée de savoir que j’ai eu la chance de rencontrer l’artisan qui a fabriqué mes vestes. D’ailleurs, ce jour-là, je portais une Teba en Harris Tweed, une veste qui retournait aux sources en quelque sorte.
Je demande à Justo de retracer l’histoire de sa famille, c’est là que j’apprends que son grand-père a fait ses armes à Londres dans l’atelier Burberry où il a appris à réaliser des trenchs. D’ailleurs, durant la Première Guerre mondiale, la maison Justo Gimeno confectionnait des habits militaires, notamment des trenchcoats pour les armées anglaises et françaises.
La richesse historique de la marque ne s’arrête pas là, en effet, Justo me précise que la maison distribuait des manteaux pour le magasin Old England à Paris. Des modèles que l’atelier est tout à fait en mesure de recréer et que la boutique distribue pour certains.
Une boutique espagnole au flair anglais
Après la visite de l’atelier, Justo me conduit à la boutique. Mais avant la visite de cette dernière, Justo s’arrête et me demande : « veux-tu goûter la meilleure tortilla du monde ? », je lui réponds avec plaisir et il m’emmène dans une rue adjacente à la boutique où nous franchissons le pas de la porte d’une taperia où j’engloutis en effet « la meilleure tortilla du monde ».
Rassasié, Justo me présente son père, Justo, et son frère cadet, Gabriel, responsable de la boutique. Gabriel est un ancien toreador, il a troqué son mantel pour une Teba, il veille aujourd’hui sur la boutique avec son père.
Dans celle-ci, je découvre des vestes Tebas en prêt-à-porter, commençant à la taille 44, aux tissus multiples. La Teba « authentique » serait celle en jersey, toujours complètement déstructurée, que porte Justo sur les épaules ce jour-là. Je me prends au jeu d’essayer plusieurs Teba, en laine, lin, coton… la collection est sans fin.
Ce qui m’attire tout de même dans la boutique est l’offre très vaste et variée de vêtements anglais : Drake’s, Joseph Cheaney et Alan Paine notamment. Trois marques difficilement trouvables en France mais dont Justo Gimeno est le distributeur officiel en Espagne. C’est d’ailleurs lui qui a fait connaître Drake’s sur la péninsule ibérique. Michael Hill, le directeur artistique de la marque, est un ami. D’ailleurs, la boutique a un air de Drake’s, ou devrai-je plutôt dire l’inverse…
Je ne peux résister à essayer un pull en poil de chameau d’Alan Paine. Je suis étonné et agréablement surpris de voir les vêtements proposés : manteaux longs, imperméables, cravates, gants, chaussures… Justo me confie que la plupart de ses clients sont pour beaucoup étrangers de nos jours. Les jeunes espagnols ne sont plus si intéressés par des vêtements et un savoir-faire centenaire.
Plus j’explore la boutique, plus je note qu’elle est très colorée. Sur des mannequins, des assemblages de tenues qui paraissent « importables » mais finalement tout est précis, tout fonctionne. C’est un peu cela « l’esprit » Justo Gimeno : passion, not fashion.
Quelques images supplémentaires pour finir.
