Sur l’histoire des poches⎜Pourquoi les vêtements pour hommes ont-ils autant de poches et ceux pour femmes si peu ?
/On parle souvent du vêtement pour sa silhouette, sa coupe, son tissu. On parle moins des poches. Pourtant, ce que l’on garde dans une poche dit beaucoup de nous : nos besoins, nos habitudes, ce qu’on juge essentiel, et la manière dont on se déplace au quotidien.
Pockets: An Intimate History of How We Keep Things Close
Je n’ai pas encore lu le livre d’Hannah Carlson, mais j’ai visionné l’une de ses conférences. Elle montre que la poche n’a jamais été neutre. Pendant longtemps, les vêtements n’avaient pas de poches cousues. On gardait l’essentiel dans des bourses attachées à la ceinture, ou dans de petits sacs glissés sous les couches de vêtements.
La poche intégrée aux vêtements apparaît dans la mode masculine entre le XVIᵉ et le XVIIᵉ siècle. Les hommes ont progressivement eu des poches intégrées, accessibles, nombreuses.
Chez les femmes, l’histoire est différente. Elles portaient des poches séparées (petits sacs), nouées à la taille, sous la jupe. Pratiques et invisibles. Elles ont vu ces poches disparaître au XIXᵉ siècle avec les silhouettes plus ajustées. Les sacs portés à la main prennent alors le relais.
Mais la différence est nette : une poche permet de partir avec ses affaires sur soi, sans ajout. Sans poches, on doit les transporter autrement.
Un espace intime
Hannah Carlson insiste sur un point essentiel : la poche est intime. On y met ce qu’on ne veut pas perdre. On y dissimule parfois un secret. C’est un espace invisible pour les autres, mais très présent pour soi. Une poche, c’est une micro-pièce personnelle, déplacée avec le corps. Elle crée un lien physique entre l’individu et ses objets.
Carlson raconte aussi les gestes. Glisser la main dans sa poche peut sembler anodin, mais ce geste a longtemps porté des significations. Confiance, décontraction, parfois insolence selon l’époque et le contexte. La poche, comme le col de chemise ou la longueur du pantalon, participe d’un langage silencieux.
Aujourd’hui, on vit avec moins d’objets, mais plus concentrés : un smartphone remplace la montre, le carnet, le portefeuille, la carte, le ticket. Pourtant, la poche reste. Elle continue d’être ce lieu discret, prêt à accueillir un objet minuscule mais important : une clé, un ticket de métro, un briquet, une bague, un morceau de papier plié sans explication.
Si vous voulez en savoir plus, on vous conseille de visionner la vidéo en fin d’article.
Ou de lire son livre, visible ici sur Amazon.
Traduction Google de la 4ème de couverture de son livre Pockets: An Intimate History of How We Keep Things Close.
Qui a droit à des poches, et pourquoi ?
C'est un sujet qui suscite de vives réactions : pourquoi les vêtements pour hommes ont-ils autant de poches et ceux pour femmes si peu ? Et pourquoi les poches des vêtements féminins sont-elles souvent trop petites pour y glisser un téléphone, quand elles s'ouvrent ? Dans son ouvrage captivant, Hannah Carlson, maître de conférences en histoire du vêtement à la Rhode Island School of Design, dévoile les enjeux liés au genre, à la sécurité, à la sexualité, au pouvoir et aux privilèges qui se cachent derrière nos poches.
Au Moyen Âge en Europe, la bourse était un accessoire vestimentaire quasi universel. Mais lorsque les tailleurs ont cousu les premières poches aux pantalons pour hommes il y a cinq cents ans, cela a déclenché une controverse et soulevé toute une série de problèmes sociaux auxquels nous sommes encore confrontés aujourd'hui, du port d'armes dissimulé aux inégalités entre les sexes. Voir : #GiveMePocketsOrGiveMeDeath.
Richement illustrée, cette micro-histoire de la modeste poche révèle ce qu'elle dit de nous : comment se fait-il que mettre les mains dans ses poches puisse être perçu comme un signe de paresse, d'arrogance, de confiance en soi, voire de perversion ? La photographie de Walt Whitman, main dans la poche, pour son recueil « Feuilles d'herbe », semblait une insulte à la respectabilité bourgeoise. Lorsque W.E.B. Du Bois posa pour un portrait, ses mains dans les poches symbolisaient une désinvolture assumée.
Et que recèle encore l'histoire de nos poches ? (Ce n'est pas un hasard si le contenu des poches d'Abraham Lincoln est l'exposition la plus populaire de la Bibliothèque du Congrès.) Tourné vers l'avenir, Carlson s'interroge : aurons-nous encore besoin de poches lorsque nos vêtements intégreront des textiles « intelligents » contenant nos papiers d'identité et nos cartes bancaires ? «
Pockets » s'adresse aux innombrables personnes fascinées par les poches et leur absence, ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent à l'influence de nos vêtements sur notre rapport au monde.
Sources pour aller plus loin
Livre :
Hannah Carlson, Pockets: An Intimate History of How We Keep Things Close, Algonquin Books, 2023.
Articles :
Rachel Syme, “The Stealthy Power of the Pocket”, The New Yorker, 18 septembre 2023.
https://www.newyorker.com/magazine/2023/09/18/the-stealthy-power-of-the-pocketInsideHook, entretien avec Hannah Carlson, 2023.
https://www.insidehook.com/style/hannah-carlson-pockets-interviewThe Guardian, “Why women’s clothes still don’t have pockets”, 2019.
https://www.theguardian.com/fashion/2019/jun/14/womens-clothes-pockets-history
Référence muséale :
Victoria and Albert Museum (V&A), “Tie-on pockets (18th–19th century)”.
https://www.vam.ac.uk/articles/a-brief-history-of-pockets
