Mister Freedom - Interview de son fondateur Christophe Loiron

 

Texte : Mathieu @BestShopsIntown
Photos : Mathieu @BestShopsInTown

Après quelques mois d’absence sur le site, me revoilà. Et cette fois pour partir à la conquête de l’Ouest, au pays de l’oncle SAM dans la Cité des Anges. Bienvenue à Los Angeles, Californie.

Partons ensemble à la découverte d’un lieu, devenu emblématique au fil des années et plus particulièrement d’une marque, Mister Freedom. Le nom nous plonge dans l’ambiance ; une quête d’aventure, de grands espaces, d’un passé glorieux et bon nombre d’images et d’inspirations pour le créateur derrière tout cela. Discret, cela n’empêche pas Mr Christophe Loiron d’être un acteur majeur dans le monde du vestiaire masculin depuis de nombreuses années. Je suis parti à la découverte de son antre et ai eu la chance qu’il réponde à quelques-unes de mes questions.

C’est sur le fameux Beverly Boulevard de LA que se trouve ce grand bâtiment vêtu de rouge. Impressionnant de l’extérieur, il n’en est rien à côté de ce qui se cache à l’intérieur. Depuis 2003, ce lieu immense est le repère des amoureux de vintage et de clients recherchant des vêtements bien conçus. C’est également l’endroit où l’on peut y dénicher toutes les pièces de la marque éponyme, Mister Freedom. Mais plutôt que de longs discours, je laisse la parole à Mr Christophe Loiron.

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1 - Pouvez-vous présenter et nous parler de votre parcours jusqu’à la création de la marque Mr Freedom ?

Je suis né à Montpellier en 1966. Grace à mon père qui travaillait dans le Pétrole, j’ai passé une bonne partie de mon enfance en Afrique (Tchad, Zaïre, Djibouti...). On ne restait jamais plus de 3-4 ans au même endroit et cela m’a donné très tôt l’envie de voyager. Pendant les vacances, nous revenions en France et je faisais le plein de disques, livres et vêtements impossibles à trouver à Kinshasa ou N’Djamena.

Après mon bac, je suis rentré en France car j’étais censé poursuivre mes études à Sciences Po. Mais j’avais déjà le malheur d’être passionné de Rock’n’Roll et je passais mon temps à jouer de la musique.

Puis je me suis engagé dans la Marine et j’ai embarqué dans l’Océan Indien pendant 18 mois. A l’issue de cette aventure, j’avais encore envie de bourlinguer et j’ai mis le cap sur les Etats Unis car ce pays me fascinait. A l'époque, culturellement parlant, rien de Français ne m'intéressait. Je n'avais aucune idée où se trouvait la Corrèze, mais je savais qu'Elvis se fournissait en chemises chez Lansky Bros à Memphis et qu'il portait sa boucle de ceinture sur le côté pour ne pas rayer le dos de sa guitare... Je rêvais Ricain. Il faut dire que nous on avait Dave, eux ils avaient James Brown...

J’ai atterri à 24 ans en 1990 à Orange County pour ensuite prendre la direction de LA. J’ai enchainé les petits boulots pour être finalement accepté en tant que vendeur chez American Rag Cie, boutique très connue d’Hollywood. J’ai gagné mon 1er dollar grâce à la frippe et à l’époque je m’habillais qu’avec du vintage que je trouvais dans des thrift stores type Salvation Army. A force de travail, je suis passé acheteur et cela m’a permis de me faire un réseau et de découvrir les grossistes en fripes du Mid West. J’ai beaucoup appris à cette époque, notamment reconnaitre les différents styles, matières, dater les vêtements, connaitre les différents détails d’un vêtement vintage... Quand tu es devant une balle de 1000 pounds de chiffons blancs à trier, tu as intérêt à connaître ton sujet. Nous étions dans les années 92-93 et c’était déjà la folie du vintage au Japon. Les acheteurs Japonais achetaient tous les Levi’s Red Lines et autres vêtements rares. Les plus belles pièces partaient à Tokyo et les prix pour des Levi’s années 50 étaient déjà fou. Il y avait aussi les équipes de design de chez Ralph Lauren, JCrew, Abercrombie & Fitch... C’était une sacrée époque.

Après 4 ans chez ARCie, je me suis mis à mon compte en continuant ma chasse aux trésors pour dénicher du “Dead Stock”. Dans le courant de l’année 1996, je me suis associé à un grossiste Japonais et on a eu l’opportunité d’ouvrir une fripe à Kyoto. Je suis resté environ 3 ans au Japon avant de repartir pour Los Angeles et me lancer en solo. C’est le début de l’aventure Mister Freedom.

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2 - Mr Freedom c’est un shop incroyable composé de pièces vintage et de votre marque propre, mais pourriez-vous en dire plus à nos lecteurs ?

J’ai toujours été passionné par le vêtement et ce qu’il raconte. Petit, je customisais déjà mes fringues en changeant la forme et les couleurs pour me différencier des autres. Et puis je me suis rendu compte assez tôt qu’il était plus facile d’avoir la chemise d’Elvis que son talent.

Partant de ce constat, je voulais créer quelque chose à mon image. J’ai donc mélangé cette passion pour le vintage et les vêtements originaux Mister Freedom. L’un nourrit l’autre. La marque MF a des racines historiques mais il ne s’agit en aucun cas de reproduction. Je me recrée ma propre histoire en partant de photos ou de détails comme une coupe, une toile... Aujourd’hui mes créations ont pris le pas sur la fripe pure et c’est surtout 95% de mon temps et de mon énergie. Sur les portants le vintage se mélange au neuf et cela peut être parfois déroutant pour certains clients.

MF c’est aussi une collaboration de longue date avec les Japonais de Sugar Cane (sous le nom MFSC). C’est en 2006 qu’ils m’ont approché car ils venaient depuis quelques années au shop et appréciaient ce que je proposais. On a décidé de faire un premier jeans en collaboration, le fameux MFSC7161 (aujourd’hui ce modèle est très prisé car produit à seulement 248 unités). Le deal était que je fasse le prototype et eux s’occupaient de la confection. Je ne voulais pas faire une reproduction simpliste d’un 501. Comme à mon habitude, je me suis donc créé ma propre histoire avec un story telling autour d’un ouvrier des années 30 qui se serait confectionné un pantalon de travail pour descendre à la mine avec des morceaux de denim récupéré ici et là. Le résultat a été la combinaison de 3 toiles différentes pour un résultat “homemade” et un zigzag stitching.

Après ce premier essai, notre collaboration a continué sur une collection plus complète. Je suis ensuite parti sur l’idée d’un Merchant Navy Sailor qui aurait fait le tour du monde et qui a chaque escale se faisait faire ses fringues custom made par le tailleur de la base navale. J’aime à dire que je fais du plausiblement correct, ou historiquement plausible, et pas juste "inspire par le vintage", comme tout le monde.

Grace à cela, Mister Freedom a eu bonne presse, ce qui nous a permis de se faire connaître à travers le monde.

3- Vous êtes depuis le début derrière l’ensemble des créations Mr Freedom mais quelles sont vos inspirations dans votre processus créatif ?

Les vêtements vintage 1900-1980 sont évidemment la plus grande source d’inspiration pour moi, même si la reproduction n’a jamais été mon truc. Je ne regarde littéralement pas non plus vers les marques contemporaines, je préfère la fripe ancienne et surtout ce qui n’a pas été fait. Par exemple, lorsque je conçois une veste, cela m’importe peu que la manche prenne 6 heures à coudre ou que je dois trouver une boucle dans un vieux stock au fin fond du Texas.

L’étincelle pour une collection peut venir d’une vielle photo chinée aux puces, d’un film, d’un documentaire, d’un livre, voire d’une émission de radio. Ça me fait rechercher le sujet, et je tombe dans le “rabbit hole”. Ensuite je brode autour, avec une approche “vêtement qui n’existe pas mais aurait pu”, en créant des personnages fictifs, qui auraient pu porter ce pantalon ou cette chemise ? En gros, je me fais mon film. Le concept de créer du neuf dans un esprit “fashion” ne m’attire pas du tout.

Par exemple, j’ai démarré la collection 2014 “Sea Hunt” après avoir écouté une interview de Patrice Franceschi dans l’émission “Le Temps d’un Bivouac”. J’ai ensuite lu des tas de trucs, de “The Lost City of Z” à “River of Doubts” et “South Sea Tales”, et j’ai plongé dans le sujet.

Parfois, l’approche est plus futile. L’étincelle pour la collection 2021 “Frogsville” est venue du fait que je voulais depuis longtemps sortir un maillot de bain inspiré par le célèbre short des UDT (Underwater Demolition Team), dans le genre le truc invendable en 2021 ! J’ai commencé ma recherche et ai créé toute une “panoplie” autour de ça. J’ai la chance que mes partenaires Japonais de Toyo Enterprise me laissent carte blanche.

Je suis un anti-consumérisme, donc il faut que ce que je crée ait une raison d’être fabriqué, soit justifié intellectuellement ou au moins artistiquement. Si c’est juste pour rajouter une autre paire de jeans aux millions que les usines débitent déjà, juste histoire de changer la couture des poches arrière, ça ne m’intéresse pas.

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4- Faites-vous fabriquer en dehors du Japon et des USA ?

Non, nous faisons fabriquer l’ensemble de nos pièces aux US ou au Japon. Même si cela représente un vrai casse-tête. En effet, pour de petites entreprises comme la nôtre, il faut constamment surveiller la production afin d’être en phase avec les manufacturiers américains. Ils ont le savoir-faire mais n’ont pas forcément le même souci du détail. Parfois j’ai presque envie de passer mes journées et mes nuits à l’usine pour éviter toute mauvaise surprise. Je crois sincèrement en l’économie locale. Par exemple, quand je mange des tomates, je veux qu’elles viennent des champs du County d’à côté et non qu’elles aient traversé le globe pour se retrouver dans mon assiette.

Les USA sont tournés vers l’avenir et ne prêtent pas forcément grande attention à leur passé. C’est pour cela qu’au niveau de la culture populaire beaucoup de mouvements en sont issus. Levi’s en est le parfait exemple. Pendant des années, ils ne se souciaient pas de leur passé (on rappelle la fermeture de la célèbre usine Cone Mills) alors qu’aujourd’hui ils rachètent de vieux modèles pour leurs archives.

Au Japon, cela est différent car ils continuent d’assembler sur des vieilles machines. Si une machine casse, la production s’arrête jusqu’à avoir retrouvé la pièce détachée originale. De plus, les mecs sont là depuis le milieu des années 80, pour récupérer les meilleures pièces vintages américaines, donc ils connaissent leur sujet.

La qualité n’a aucun équivalent avec ce que peuvent faire les conglomérats de la fast fashion mais cette démarche entraine forcément des coûts de production plus élevée. Quand vous mettez dans la tête du consommateur qu’un tee-shirt vaut $5, qu’un jeans en vaut $25 et qu’un manteau $35, il faut forcément faire des concessions sur le droit du travail et les matières premières utilisées. A notre échelle, on ne dispose pas de la même puissance Marketing, c’est simplement que l’on ne joue pas dans la même cour. Mais une chose est sûre, c’est que cela ne rend pas la vie facile aux business éthiques indépendants.

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5- Quel est votre regard sur l’évolution du Vintage aujourd’hui ? Et continuez-vous d’acheter des pièces vintages ?

C’est cool que la fripe se soit “démocratisée” dans les esprits en France. Pour beaucoup de ma génération, et avant, le “vêtement usagé” c’était juste bon pour Emmaüs. De nos jours, on appelle ça vintage et la fripe a pris des Lettres de Noblesse. Si ça contribue un peu à moins vendre du jetable de chez H&M ou Zara au niveau de la mode, tout le monde est gagnant.

Je ne collectionne toujours rien spécifiquement, mais continue à chiner tranquillement partout où je me trouve, pour inspiration. J’ai moins le peps qu’avant et plus du tout le temps pour chasser la pépite, donc j’apprécie cette nouvelle génération de chineurs qui se tapent la route et se lèvent à 4h du mat en sacrifiant leurs weekends pour sauvegarder des pièces historiques.

6 - Quels sont vos projets futurs ?

Garder le cap tout en déléguant plus à mon équipe. Après 20 ans à bosser 7/7 et à jongler avec tout pour m’assurer que le petit navire MF® tienne les flots - ça va du design jusqu’à réparer les fuites sur le toit, en passant par gérer l’équipe - je rêve de calme et même d’ennui !

Mais je veux continuer à faire des fringues que je veux porter. Si ça se vend, tant mieux, sinon, ça me fera une belle garde-robe !

En attendant, je ne baisse pas la garde, car aujourd’hui, pas mal de personnes que je respecte et aime dépendent de cette petite marque MFSC (Mister Freedom® x Sugar Cane) qui a démarrée un beau jour de 2004…

7- Comment gérez-vous la situation actuelle ?

On s’est assis avec notre petite équipe à LA et on a discuté le plan d’attaque, en Mars 2020, au début du “Goat Rodeo” (= une expression militaire qui décrit un bordel monstre et une situation hors de contrôle). J’ai une grande gueule mais respecte l’opinion des gens qui m’entourent. On a eu la chance d’avoir déjà une plate-forme de vente en ligne bien établie, et on a lancé une nouvelle version sur laquelle l’équipe travaillait depuis 3 ans, en coupant nos marges temporairement pour nous rendre plus “attractif”.

Ça a marché, et nos clients qui le pouvaient nous ont permis de garder la tête hors de l’eau pendant ces longs mois difficiles. Je serai à jamais reconnaissant à celles et ceux qui nous ont aidé à passer la vague, et à mon équipe qui a su boire la tasse.

Aujourd’hui, même si je continue à faire le clown sur IG, je sais que tout reste précaire mais garde confiance en l’avenir proche.

Vous l’aurez compris, la passion reste intacte et c’est l’œil vif et éclairé que Mr Loiron a partagé sa vision du vestiaire masculin. Je tiens particulièrement à le remercier pour le temps et la confiance qu’il m’a accordé, dans cette période pas toujours simple pour bon nombre d’acteurs du milieu.

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