Qu'est-ce que la bonneterie ?

 

Une réponse assez exhaustive à cette question a été donnée en 1891 par M. Auguste Mortier dans son livre par Le tricot et l'industrie de la bonneterie. Vous trouverez ci-dessous un extrait des passages qui nous intéressent.
Le livre est par ailleurs consultable entièrement et gratuitement en ligne ici grâce au travail de numérisation offert par la plateforme Gallica.

I. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. HISTORIQUE.

TRICOT ET BONNETERIE


Le mot Bonneterie (1) a toujours éveillé en nous un sentiment de protestation. Pourquoi le bonnet, ce simple détail du vêtement, a-t-il donné son nom à une industrie aujourd'hui si complexe et qui habille l'individu de toutes pièces? Pourquoi la partie pour le tout? Devant la nécessité d'accepter une dénomination consacrée par l'usage, nous voudrions tout au moins essayer d'en fournir une justification.

Si nous regardons autour de nous, nous trouvons des anomalies de même nature : hosiery, disent les Anglais, du mot hose, bas; strumpfwaaren, disent les Allemands, en se servant également du mot bas, strumpf. Les Italiens et les Portugais sont plus logiques : maglieri pour les uns, maglia pour les autres, sont des noms génériques, ayant un lien de parenté bien marqué avec notre mot maille, et, s'il était possible de créer chez nous une appellation nouvelle, l'expression de maillerie leur correspondrait exactement.
Enfin, et chose curieuse, les Espagnols placés entre les Portugais et les Italiens emploient un terme collectif particulier : puntos. Tout au plus pourrait-on le rapprocher du mot français point et y voir une allusion à la constitution du tissu à mailles. On y pourrait trouver aussi une preuve de communauté des origines de la Bonneterie et de la Dentelle : le point est, en effet, l'élément constitutif de la dentelle, comme la maille est celui du tissu de bonneterie.

Le mot propre pour désigner le tissu à mailles ne nous fait pas défaut cependant : nous avons le mot tricot (2). C'est le terme générique que nous réclamons et que l'usage a sanctionné : nos grand-mères ont fait du tricot; il ne nous arrivera jamais de dire qu'elles ont fait de la bonneterie.

Comment un mot a-t-il remplacé l'autre ? — Dans quelles conditions et à la suite de quelles circonstances la substitution s'est-elle opérée ? Un retour vers le passé va nous l'apprendre.

L'art de tricoter remonte à une époque que l'on ne saurait déterminer, et il est impossible de préciser quand, en quel pays et par qui le tricotage à la main fut pratiqué pour la première fois.

Le tissu tricoté a pour caractéristique d'être produit par l'enchevêtrement de boucles ou mailles, pouvant glisser les unes sur les autres et à la formation desquelles un seul et même fil suffit ; grâce à cette mobilité relative de ses éléments constitutifs, le tissu tricoté est élastique dans tous les sens. Il tient beaucoup du tissu pour filet de pêche; celui-ci, en effet, est également formé de mailles obtenues à l'aide d'un seul et même fil ; mais il a de plus à chaque maille des points d'arrêt ou noeuds, qui font perdre aux mailles la faculté de glisser les unes sur les autres et différencient le tissu à filet du tissu tricoté. De telles analogies permettent de supposer que les deux variétés ont pu exister presque simultanément et bien probablement on ne commettrait pas d'erreur en leur assignant la même époque d'origine. S'il en était ainsi, et quelle que soit la distance qui puisse les séparer, le tissu à filet étant connu dès la plus haute antiquité, le tissu tricoté devrait bénéficier d'une origine aussi reculée et remonter lui-même aux temps les plus anciens.

[…]

Nous avons ainsi la preuve officielle qu'en 1554 on connaissait en France le bas tricoté et que, contrairement à ce qui se passait à la même date en Angleterre où des Acts du Parlement de 1563 mentionnent le hosier ou fabricant de bas et le knee cap maker ou fabricant de bonnets au tricot, les bonnetiers français étaient devenus fabricants de bas ; sans rien ajouter à leur titre, sans le modifier, ils avaient joint peu à peu à leur industrie première du bonnet, du. gant, des mitaines et « autres appartenances, » la fabrication du bas.
Maîtres de cette fabrication et forts de la rigueur des règlements corporatifs, ils entendaient ne plus s'en dessaisir.

[…]

Réunies entre les mêmes mains, dans la même corporation, les deux industries du bonnet et du bas tricotés auraient dû, tout au moins à leurs débuts, se développer parallèlement. La fabrication du bonnet, néanmoins, prit rapidement l'avance sur celle du bas. Mieux que celle-ci, en effet, elle répondait à des besoins immédiats et la grande consommation de ces produits, assurée par leurs bas prix et leur facile production, lui donna de suite un essor considérable ; elle prit immédiatement rang parmi les indus-tries classées de l'époque.

[…]

Rien d'étonnant dès lors à ce que la Bonneterie ou fabrique de bonnets ait été l'industrie caractéristique des articles faits au tricot. Les bonnets furent les premiers objets tricotés, fabriqués industriellement; les bas, les camisoles, ne vinrent que plus tard.

Notre bonneterie actuelle, mal dénommée comme on le voit, n'est donc qu'une branche de l'ancienne bonneterie ou fabrique de bonnets. Celle-ci a, pour ainsi dire, disparu avec l'usage de son principal produit, mais le nom est resté.

Notes de bas de page :


(1) On doit prononcer régulièrement Bonèterie et non Bonn'trie comme l'accepte l'usage.

(2) Littré croit avec Diez que tricoter est pour estricoter, comme pâmer est pour espâmer ; il le fait dériver du mot néerlandais strik, maille. strikken, nouer.

Il en fournit aussi une autre origine. Un arrêt du Conseil, du 7 août 1718, concernant les serges, se réfère en ces termes à des lettres patentes: a le feu Roy... ayant autorisé par ses lettres patentes du mois de mars 1669 des statuts pour les manufactures des villages de Tricot et de Piennes en Picardie " Ainsi, dès le milieu du XVIIe siècle, le village de Tricot (département de l'Oise) avait des manufactures de serges.
Aurait-il fait du tricot et donné son nom au tissu à mailles? Littré pose la question sans la résoudre ; nous n'osons nous prononcer davantage. Nous admettons plus volontiers cette troisième explication du même auteur : les écrits du XVIe siècle mentionnent les « triquoteuses » et cette orthographe fait croire que tricot vient de trique, l'aiguille en bois, employée à cet effet, ayant été nommée triquot ou petite trique.

En tous cas, et quelle que soit l'origine du mot tricot, il n'est que le synonyme d'un mot plus ancien, avec un sens plus large toutefois. Nous verrons plus loin en effet que, dès le XIIIe siècle, le tissu tricoté en laine avait son nom propre; on l'appelait «l'estame. » Celui de tricot ne fut usité que plus tard; il s'appliqua au tissu tricoté en laine, en coton ou en soie.

 
Le tricot et l'industrie de la bonneterie par M. Auguste Mortier  Image Gallica

Le tricot et l'industrie de la bonneterie par M. Auguste Mortier
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