Norlender - Une référence en matière de pulls norvégiens
/Note : À notre demande, Norlender ont gentiment accepté de nous envoyer le pull que vous allez découvrir dans cet article
Norlender
Le pull Norvégien motif 3 lices
On a déjà parlé (succinctement) des pulls norvégiens sur le blog - voir ici : Qu’est ce qu’un pull Norvégien et Norlender, fabricant historique de pulls Norvégiens.
Toute discussion sérieuse sur l'histoire du tricot norvégien doit commencer par les travaux d'Annemor Sundbø, souvent surnommée la "détective du pull norvégien". Son apport ne provient pas uniquement de recherches documentaires. En 1983, Sundbø a acquis la "Torridal Tweed og Ulldynefabrikk", une usine de "shoddy" (recyclage de laine) en Norvège.
À l'intérieur de cette usine, elle a découvert ce qu'elle nomme un "rag pile" (un tas de chiffons) : des tonnes de vieux pulls, mitaines et sous-vêtements en laine destinés à être déchiquetés pour en faire de l’isolant. Ce tas de chiffons est devenu une source “archéologique” inestimable. En analysant ces milliers de fragments avant leur destruction, Sundbø a pu retracer l'évolution des motifs, des techniques de teinture et des habitudes de réparation sur plusieurs décennies.
Son ouvrage monumental, Norway’s Knitted Heritage: The History, Surprises, and Power of Traditional Nordic Sweater Patterns, est le résultat de cette recherche.
Sundbø démontre que les tricots norvégiens sont des répertoires de données culturelles. Ils enregistrent tout, des coutumes funéraires à la construction de la nation après les guerres napoléoniennes.
Bien que souvent utilisés de manière interchangeable, les termes "Islender" et "Lusekofte" désignent des pulls différents.
Le Lusekofte de Setesdal
Pour mieux comprendre le pull Svalbard de Norlender dont on va parler plus bas, on doit évoquer rapidement Lusekofte de Setesdal.
Historiquement associé à la vallée de Setesdal, le Lusekofte est un vêtement d'apparat, un marqueur de statut social. Avec ses broderies colorées (Løyesaum) et ses fermoirs en argent, il est conçu pour les cérémonies et le costume folklorique (bunad).
Il se caractérise par le motif "lice" (poux) — des points isolés de couleur contrastante
L'Islender
Contrairement à ce que son nom indique, l'Islender (le style dont s'inspire le Svalbard) ne vient pas nécessairement d'Islande. D'après les recherches de Laurann Gilbertson sur Norwegian Textile Letter, ce nom ferait référence aux routes commerciales de la 'Compagnie d'Islande' reliant les ports norvégiens aux îles Féroé au XIXe siècle.
C'est le vêtement de travail par excellence : aussi, à la différence des pulls Lusekofte de Setesdal ornés de broderies fragiles, l'Islender est strictement utilitaire. Son motif répétitif créé une double épaisseur de laine constante sur tout le corps, agissant comme une véritable armure thermique.
Le pull Svalbard de Norlender
J’ai pu essayer le modèle Svalbard de Norlender (lien ici), qui est typiquement un pull de type Islender. Il arbore un petit motif "triple Lusekofte" (“triple poux”) issu du pull Lusekofte vu plus haut.
Techniquement, il s'agit de petits motifs répétitifs.
Pourquoi trois motifs ? Dans une culture maritime imprégnée de superstition et de piété, le chiffre trois possède une résonance symbolique forte (la Trinité), souvent invoquée pour la protection en mer. Une autre explication probable et plus pragmatique réside dans la structure du tricot. Le regroupement de trois motifs permet de gérer les "flottés" (les fils courant à l'arrière de l'ouvrage) de manière optimale. Des flottés trop longs risquent de s’accrocher.
on peut distinguer les fils flottés sur l’envers du pull
C'est ce motif "triple lices" qui fut popularisé à l'international par des détaillants comme L.L. Bean entre 1965 et 1990, cimentant l'image du "Norwegian Fisherman Sweater" dans l'imaginaire collectif mondial avant que la production ne soit massivement délocalisée en Asie.
Le Svalbard de Norlender représente donc un retour à la source de cette icône vestimentaire. La laine, le fil et le tricotage : tout dans ce pull est 100 % norvégien.
La confection
Installée sur l'île d'Osterøy, berceau historique du textile norvégien, Norlender incarne une résilience industrielle rare.
L'histoire débute en 1927 dans des conditions épiques : faute de route carrossable, le fondateur Ola Tveiten dut hisser sa première machine à tricoter sur un traîneau à cheval pour l'installer dans le sous-sol de sa ferme de montagne.
D'abord baptisée "Svale Trikotasje" et dédiée aux sous-vêtements, l'entreprise a pivoté vers les pulls d'extérieur robustes après 1945. Aujourd'hui, alors que la majorité des marques mondiales ont délocalisé leur production, les troisième et quatrième générations de la famille Tveiten maintiennent l'activité sur leur fjord d'origine, faisant de Norlender l'un des derniers bastions du "Made in Norway".
Capture écran d’un reportage de TF1 sur les Fjords de Norvège qui comprenait une visite de la marque Norlender
Le pull est coupé cousu comme nos pulls marins en France.
Ainsi, contrairement au tricot "fully fashioned" (diminué), où chaque panneau est tricoté à la forme exacte — visible par les mailles convergentes aux emmanchures — le Svalbard est produit par la technique du panneau intégral.
De grands panneaux rectangulaires arborant le motif "triple lice" sont tricotés sur des machines rectilignes (flatbed), avant que les formes du corps et des manches ne soient découpées dans ces panneaux. Les bords coupés bruts sont sécurisés par une surjeteuse pour empêcher l'effilochage.
Ce procédé mécanise ainsi le "steeking" traditionnel norvégien qui consistait à tricoter à la main de manière circulaire puis à couper aux ciseaux l'ouverture des bras.
Il créé par la même des coutures intérieures épaisses et visibles qui, bien que moins raffinées que le remaillage, apportent sans aucun doute une rigidité structurelle essentielle.
Pour un pull de 900g, ces coutures agissent comme une armature, empêchant le lourd tricot de laine cardée de se déformer ou de s'allonger excessivement sous son propre poids au fil des années. Dit comme ça, cela peut sembler être un argument marketing de notre part pour justifier la méthode de fabrication “coupé-cousu". Mais il faut garder en tête que ces coutures sont réalisées avec un fil qui n'est pas élastique. Elles aident donc bien le pull à garder ses dimensions verticales, au regard se son poids.
La Matière Première – de la Laine Norvégienne
Un pull n'est aussi bon que le fil qui le compose. Norlender Knitwear, bien qu'étant une usine de tricotage, ne file pas sa propre laine. L'entreprise repose sur un écosystème de filateurs et éleveurs situés sur la côte ouest de la Norvège, garantissant une traçabilité totale du produit.
La première impression est celle d’une pièce rustique, très épaisse et bien chaude, mais elle ne gratte pas autant que je l’avais imaginé. Ce n’est pas un hasard, ici, nous sommes sur une laine classée C1 par le standard norvégien Animalia.
Concrètement, cela signifie deux choses :
Une fibre épaisse (28-38 microns) : Bien que le micronnage soit élevé, le cardage introduit tellement d'air (loft) que la surface du pull est comme un nuage. Les fibres, au lieu de piquer la peau comme des aiguilles (ce que ferait une laine grossière peignée), se compriment et se plient grâce à leur élasticité naturelle. Le pull agit comme un coussin plutôt que comme une cotte de mailles.
La tonte d'automne (Høstull) : Contrairement à la laine de printemps qui a souffert de l'hiver à l'étable, la laine d'automne a poussé en plein air. Elle est propre, forte et gorgée de lanoline naturelle pour protéger le mouton des pluies. C'est cette matière première que le partenaire historique de la marque, Sandnes Garn (filateur norvégien fondé en 1888), prépare et lave en conservant ce caractère brut.
Cette signature olfactive signale la présence résiduelle de lanoline. Le processus de lavage chez Sandnes Garn est calibré pour nettoyer la laine sans la "décaper" chimiquement. La lanoline est la cire naturelle du mouton ; elle confère une déperlance naturelle et empêche la saleté de pénétrer la fibre.
Cette odeur nous a tout de suite rappelé celle de notre pull Le Tricoteur (dont nous avions parlé ici)
Comment on le porte ?
Un point essentiel avoir à en tête est son poids de presque 1kg. À titre de comparaison, un pull en cachemire standard pèse environ 300g. Le Svalbard est trois fois plus lourd. Il fonctionne comme un radiateur à accumulation, stockant la chaleur corporelle dans la structure frisée de la fibre.
Ce poids dicte quelque peu son usage. Ce n'est pas une couche intermédiaire (mid-layer) à porter sous une veste ajustée ; on pourrait presque le considérer comme une couche externe (outerwear). Historiquement, l'Islender se portait d’ailleurs par-dessus plusieurs couches de sous-vêtements, agissant comme la barrière finale contre le froid.
De notre côté on le porte simplement*, ici avec un jean de chez See Fan et des Paraboot x Arpenteur. On aurait pu ajouter un manteau ample à manches raglan mais le temps ne s’y prêtait pas ce jour là.
Le pull est disponible ici pour les personnes curieuses.
*Note : je porte une taille M.
