Trunk Tailors - Italie, Asie et Australie + Interview exclusive

 
 

L'univers du menswear en Australie est en pleine effervescence depuis quelques années. De très belles marques se créent. Comme P.Johnson*, Christian Kimber et...Trunk Tailors dont on va vous parler aujourd'hui.
Vous vous demandez peut être pourquoi nous prêtons autant d'attention à ce qui se passe à 15 000 km de chez nous ? La raison est simple, le continent australien n'a pas le même historique que le Royaume-Uni ou l'Italie en matière de vêtements. Un état d'esprit différent peut donc y naître plus facilement.

*pour ceux qui voudraient en savoir plus on avait déjà écrit un article ici ou encore

 

HISTOIRE

La marque est née en septembre 2014, fondée par Jack Liang et Homie Yang. Pourquoi choisir nom de Trunk Tailors ? Tout simplement parce qu'ils voyagent à proximité de Melbourne pour leurs rendez-vous de prise de mesure, d'essayages...Ce qu'on appelle communément un trunk show. Sous-entendu, un showroom itinérant.

Jack Liang et Homie Yang / Photo de Theversatilegent.com

Jack Liang et Homie Yang / Photo de Theversatilegent.com

Une aventure qui a commencé avec très peu de moyens. Juste de l'envie et une passion pour le vêtement masculin. Il est inspiré dans un premier temps par le style workwear avec des marques comme Visim ou Red Wing. Mais c'est en ayant besoin d'un costume pour un travail l'été qu'il en vient à s'intéresser de plus près au tailoring. S'en suivra quelques voyages en Italie, la Mecque en matière de menswear. A Naples, Florence ou encore Milan. Jack y achètera quelques vestes, surpris par la qualité du travail effectué par les différents ateliers visités. De retour en Australie, ses fluctuations de poids le dissuaderont de commander à distance. Après un an et demi de recherche, il finiront par trouver un tailleur à Hong Kong qui travaille avec une vingtaine d'employé.

 

We started with almost no capital, two return flight tickets and some vintage fabrics that we had saved. We are not models by profession, have very little knowledge in art and are not trained in sales.
— Jack Liang / Theversatilegent.com - Octobre 2017

INTERVIEW EXCLUSIVE

L’équipe de Trunk Tailors a gentiment accepté de répondre à nos questions.

What is your background before starting this adventure?

My partner Homie Yang used to work in Harrolds, a high-end menswear retail shop in Melbourne prior to Trunk Tailors. I am admitted as a lawyer but quit my job at PricewaterhouseCoopers after working in corporate for 5 and half years to pursue this full time. Over the years, we have traveled and commissioned bespoke garments all around Italy, Japan and other regions. For us, it is the raw nature of tailoring, the lack of marketing that you would find in high end retail that attracted us. What most don't realise when they come in for an appointment is that it is truly one of the last remaining experiences where one can choose any fabric from around the world, have us source a deadstock fabric from Paris, request a particular lapel shape or have anything made from scratch. Yes, most tailors focus on colour of lining, buttonhole and monograms to get a client and their partner excited. However, for us, we are constructing a real hand made product intelligently. The idea of a blank canvas excites us. 

Photo de Jamie Ferguson alias Jkf_man

Photo de Jamie Ferguson alias Jkf_man

Your suits are fully canvassed while the Australian climate might suggest that you would opt for something lighter. What do you think?

As all our suits are made by hand from scratch, we are versatile with every commission and tend to use the thinnest layer of canvas for our spring summer commissions. For a normal business suit, we recommend full canvas or light canvas (still full but thinner). For a tweed or casual suit, we tend to go without any canvas. The reason is that most tweed are bouncy and heavy with their own characteristics, you simply don't need to add anything more to shape the garment. For something like linen, wool silk linen mix etc, we find that the garment should mold with the wearer and gets better with every crease. 


Your brand is very influenced by the Italian style. It's been a few years since this style is very popular on the Internet. Are you not you afraid that this trend will run out of steam?

I'd say our style is simply born out of necessity. It may be somewhat Italian, but i'd like to think in Australia it is more universal and we simply adapt to our every day life. For instance, I think the days of layers of canvas and sculpturing a man's body is over. Whether it is Italian or not, I think it is simply because it is 2018, we are much more aware of our own skin, and half the guys in Australia bench press way more than they need to in the gym. Therefore, there is no need to accentuate their physique like older days as the English would. Soft shoulders, lighter construction are here to stay, but that doesn't mean wearing a suit should be sloppy. 

There is a trend to dress as if you just put it on without thought, you shouldn't. I think one should still stay well groomed, learn to press your suit, iron your shirt, shine your shoes and dress proud. 

Photo de Jamie Ferguson alias Jkf_man

Photo de Jamie Ferguson alias Jkf_man


Have you planned to do trunkshows abroad?

We currently travel 3-4 times a year to other major cities in Australia and China. There is no 'ambition' to do beyond that in the short term. We are a very small team and our workshop simply cannot facilitate a much larger increase in volume. It is one of our great luxuries to be able to work with a small workshop and be able to hone in on every single garment design and to facilitate the design process with each individual client, something a factory cannot do. If we were to increase our volumes, our fundamental customer experience will deteriorate and we simply won't be as focused on our customers. 

 

OFFRE


La prise de commande est légèrement différente d'une offre MTM (Made to Measure) classique. Toutes le mesures sont prises par Jacket et Homie puis envoyées à leur tailleur. Celui-ci réalise le patron en partant de zéro. Ils insistent là-dessus. Car dans une offre de MTMT standard, il n'est pas possible de faire beaucoup d'ajustements sans déséquilibrer le patron. En reprenant tout à zéro, la marge de manœuvre est beaucoup plus grande. En pratique il est donc possible de retoucher le placement de ce qu'on appelle en anglais la "gorge" par exemple. Ce ne sont donc pas moins de trois essayages qui sont nécessaires.

trunk tailors

Cylistes amateurs tous le deux, ils comprennent bien l'importance d'une bonne prise de mesure. Dans leurs cas c'est d'avoir un pantalon qui puisse gommer visuellement leurs cuisses un peu trop volumineuses.

It’s all handmade ; You may not realise it now, but after wearing it for a while you’ll start to feel the difference
— Jack Liang / Thehounds.com.au Août 2016
Photo Trunk Tailors - Ici à Paris chez Lafayette Saltiel Drapiers

Photo Trunk Tailors - Ici à Paris chez Lafayette Saltiel Drapiers

 

DISTRIBUTION

Ils ont un showroom situé à Melbourne. Petit comme peuvent l'être certaines boutiques italiennes. Jack se rappelle par exemple que la boutique du fabricant de cravate Marinella à Naples est toute petite. Il ne s'y attendait pas.

La marque distribue également des cravates de chez Drake's, des lunettes de Nackymade, des parapluies Francesco Maglia et bientôt leurs propres polos de chez Luca Avitabile.

 

LOOKBOOK

trunk tailors
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Photo Trunk Tailors

Photo Trunk Tailors

Photo Trunk Tailors - Tenue casuale

Photo Trunk Tailors - Tenue casuale

 

Interview de Romain Biette, fondateur d'Ardentes Clipei

 

Cette semaine on est allé à la rencontre de Romain Biette,
un jeune tailleur français qui a fondé sa propre entreprise à Paris.

Romain biette ardentes clipei

Bonjour Romain, peux-tu te présenter en une phrase ?

Romain Biette, 26 ans, tailleur et fondateur d’Ardentes Clipei.

Quel est ton parcours ? Ta formation ?

Je suis né à et j’ai grandi à Paris. Un pur produit de l’ouest parisien. Tous les parisiens te le diront : chaque rive, chaque quartier a un peu ses particularités. Ce qui fait que j’ai grandi dans un environnement où il n’était pas anormal que les gens soient en costume. Par exemple mon père, qui est avocat, l'est très souvent. Il n’est pas spécialement passionné par le vêtement mais il a une élégance assez brute, assez naturelle. C’est quelque chose que j’ai su apprécier assez tôt et qui m’a donné envie de porter de le porter. J’étais également dans un lycée disons un peu sévère où l’on m’avait imposé de le porter. C’était ma vraie première expérience, j'avais 14 ans.

A partir de 15 ans, j'ai commencé à bosser l’été. Je dépensais tout dans les fringues. Je me souviens que j’avais fait la bêtise d’acheter des chaussures chez Gucci. C’était en 2006, après Tom Ford. Leur collection était très stylée…Je possède d’ailleurs encore un manteau. Mais les chaussures je les ai jetées. Je me suis dit c’est bizarre, on m’avait vendu la qualité mais ce n’est pas ça la qualité. Qu’est ce qu’il y a au-dessus ? Si ce n’est pas l’industrie du luxe, qu’est ce que c’est ? J'ai d'ailleurs compris à ce moment là que c'était plus devenu une industrie que du luxe. Ce n'est que plus tard que je découvrirais l'artisanat, via des blogs comme Parisian Gentleman (PG). Je ne me suis jamais réellement plongé dans Bonne Gueule ou dans les forums, je suis clairement un produit de PG, qui m'a ouvert les yeux concernant la grande mesure. Avant pour moi le plus beau costume du monde, c'était un Ralph Lauren Purple Label ! 

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Et c’est aussi à cette époque que j’ai vu le trailer de O’mast. Je me suis dit mais « qu’est ce que c’est que ce truc de malade. » J'ai du le voir 500 fois. Ça m’a donné envie d’aller à Naples et à Hong Kong (d'où viennent les producteurs du documentaire, les fameux Mark Cho et Alan See de The Armoury). Et j’y suis allé ! A Hong Kong, j’ai vraiment senti quelque chose que l’on ne retrouve pas en France…Il n'y pas autant de barrières, tout va beaucoup plus vite, c'est le paradis des entrepreneurs ! A mon retour, je me suis donc dit « c’est bon j’arrête mes études de droit ». Et c’est comme ça que j’ai suivi la formation de l’AFT pour devenir tailleur. Elle a durée 2 ans. C’est la dernière formation de tailleur en France, créée en 2005 par le maitre tailleur et président de la fédération des maitres tailleurs de France André Guilson. Un peu tout seul il faut dire, car l'Etat s'est totalement désintéressé de la transmission du métier aux générations futures. 

 

 
Je me souviens que j’avais fait la bêtise d’acheter des chaussures chez Gucci. C’était en 2006, après Tom Ford. Leur collection était très stylée…Je possède d’ailleurs encore un manteau. Mais les chaussures, je les ai jetées.
— Romain Biette
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Au début ça a été dur car tu vois qu'en réalité les choses sont loin de ce qui est écrit dans les blogs… La grande mesure a beaucoup souffert en cette seconde moitié du XXème siècle. 40 000 tailleurs il y a 50 ans et moins de 1000 établis aujourd’hui. Ils se sont pris l'industrialisation dans la figure, l'abandon progressif du costume et de toute forme de formalité, la hausse du coût du travail, les délocalisations, les changements d'habitude de consommation... Et puis après 68 et l'idée du bac pour tous, les métiers manuel c'était mal vu ! La génération de nos parents manque donc à l'appel, aujourd'hui en tailleur tu ne trouveras que des gens de 70 ans ou de 25. 

 
[...] j’ai vu le trailer de O’mast. Je me suis dit mais qu’est ce que c’est que ce truc de malade. J’ai du le voir 500 fois.
— Romain Biette
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Travailles-tu tout seul ?

Oui. Je suis associé pour la grande mesure avec le maitre tailleur Didier Groult installé à Rouen sous le nom André Marcel Tailleur. Nous travaillons à quatre mains sur mes clients, même si lui est plus là pour apporter l'expérience nécessaire pour avoir un tombé parfait que pour faire le vêtement en lui même. L'objectif est que ce soit mon travail, avec ma patte personnelle ! J'aimerais reprendre à terme son atelier et garder la production de la grande mesure en Normandie. Je pense que la vie est beaucoup plus agréable avec une petite maison et un coin de verdure où se vider la tête le soir plutôt que de vivre dans une barre en banlieue parisienne ! L'artisanat est avant tout un projet humain, et je pense que tout le monde doit être gagnant : le client, le tailleur, le personnel. Sinon tout ça n'a pas de sens. 

Qu’est ce qui fait ta marque de fabrique ?

Je suis un concentré des trois grandes écoles sartoriales: 

  • Italienne pour l'importance de la ligne, des couleurs chaudes, des motifs, une structure légère qui permet à la personne d'être aussi à l'aise en costume qu'en t-shirt et jean !

  • Anglaise, principalement pour les tissus, que je trouve plus solides de manière générale. Je suis un très grand fan de tweed et de Donegal

  • Française parce que j'ai appris à me soucier de tout dans les moindres détails... Un costume français réussi, c'est avant tout une couture droite, un point fin et régulier, un repassage impeccable.

Un rappel sur la provenance du nom de ta marque ?

Je me sens français avant tout, mais ce qui vient après est le fait que je me sente européen. De plus je fabrique tout en Europe: tissus anglais et italien, demi mesure fabriquée en Italie ou en Pologne, ou encore la grande mesure qui est fabriquée en France. J'ai donc voulu utiliser la langue européenne: le Latin. Ardentes Clipei signifie "boucliers étincelants" et renvoi à l'idée que le costume est une protection, pensé de telle manière qu'il vous rend plus beau et plus fort !

De quoi est composée ton offre ?

Je propose aujourd'hui trois niveaux de fabrication: une demi-mesure polonaise, une demi-mesure italienne, et de la grande mesure française. 

Plein de détails se retrouveront quelque soit l'offre, comme la milanaise par exemple (boutonnière réalisée à la main sur le revers). 

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Ma principale source d'inspiration est la beauté. Après pour parler de sources plus directes, j'aime particulièrement  le Cinéma, la Photographie et l'Architecture. 

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Tes modèles en matière d'élégance ?

Dans ceux qui ne sont plus de ce monde, Jean Gabin, Lino Ventura, Yves Montand. Sinon Alain Delon qui combine la beauté, le style et l'élégance ou Ralph Lauren parce qu'il est un modèle de réussite. Sinon dans le métier et plus jeunes, j'aime beaucoup les tailleurs Andrea Luparelli et Mariej Zaremba ! 

 

Je vais te poser la même question que j’ai posée à Maxime Toren : le sur-mesure (grande mesure j’entends) est-il vraiment le Saint Graal ?

La difficulté c’était : qu’est ce qui fait l’intérêt de la grande mesure ? Hugo Jacomet à répondu : patronage unique.  Ça c’est le postulat de Parisian Gentleman, que je respecte. Mais je ne suis pas totalement d'accord, car beaucoup de tailleurs utilisent des gabarits pour aller plus vite, et tu en as même qui vont jusqu'à altérer un patronage standard, comme en demi mesure! Pour moi la différence se fait plus sur le fait que la demi mesure, il y a la prise de mesures, avec la fabrication d'un costume qui arrivera fini selon les mesures prises. Quand le client est simple à habiller et que le preneur de mesures est bon, ça tombera parfaitement, sinon il y aura quelques petites retouches à faire. La grande mesure, c'est une prise de mesure, un premier essayage qui permet de prendre en compte plein de détails physiques directement sur le col (on pourra ainsi enlever facilement un pli nuque, ouvrir une emmanchure parce que le client a les épaules un peu en avant etc...), un second essayage avec le col et les manches bâties, ce qui permet de pouvoir régler au millimètre ces deux parties du costume qui sont les plus complexes à altérer le costume fini. Tout ça pour arriver à la fin à un vêtement qui tombera comme une seconde peau... Et puis il y a l'expérience, qui est unique ! 

En conclusion, la grande mesure est comme un grand restaurant ou une voiture de collection, il est malheureusement réservé à peu de personnes mais c'est un moment d'existence privilégié qui vaut largement l'argent qu'il coûte ! Chez moi à partir de 4000€ pour 70 heures de travail. 

 

Un détail que tu apprécies ?

Une belle manche, c'est la chose la plus complexe à réaliser et c'est réellement comme ça que je détermine si un costume est réussi ou non ! 

Plus jeune, je ne jurais que par l'épaule napolitaine, car j'étais totalement hypnotisé par le style italien qui se reconnait à 100 m. J'ai mis beaucoup plus longtemps à comprendre ce qui faisait la richesse du style français: une belle épaule, avec juste ce qu'il faut de cigarette, pas un pli, et une manche qui tombe parfaitement, c'est magnifique !! Et c'est deux fois plus complexe à réaliser qu'une épaule napolitaine, où la fronce (qui laisse apparaître quelques plis) est considérée comme un style alors qu'en France, elle est considérée comme une imperfection. 

J’ai vu que tu as rencontré Nicolas Radano et Maximilian Mogg. Pourrais-tu nous dire quelques mots à ce sujet ? Est-ce que des collaborations sont à prévoir ?

J’ai fait deux trunkshows chez Maximilian Mogg à Berlin. L’objectif est recevoir également des trunkshows et des events dans mon atelier parisien afin de promouvoir des gens dont j’apprécie le travail. Comme par exemple Guillaume Lancelot qui fait de la maroquinerie haut de gamme.

Pour finir, un livre ou un restaurant à nous conseiller ?

Bel Ami de Maupassant. Ce que j’aime c’est la détermination du personnage, cette capacité à dépasser son milieu social et à se faire une place de choix au sein de la société. Et puis Maupassant décrit à merveille la fin du XIXème siècle qui est une période qui me passionne !

romain biette tailleur costume ardentes clipei paris
romain biette tailleur costume ardentes clipei paris

Merci à Romain d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.